Arnon Grunberg

Hermans

Lost in pronunciation

I arrived in Paris, just for in time for my first panel at Salon du Livre.
The panel was supposed to discuss the late Dutch author W.F. Hermans, members of the panel were the French translator of Hermans, his French publisher and me.
By the way the novel "The Dark Room of Damocles" by Hermans was recently hailed by Milan Kundera in Le Monde as -- I summarize -- a miracle. Of course the panel was going to discuss this review as well.
If for no other reason than that it's easier to discuss a review than a novel.
I was asked to provide a statement on W.F. Hermans, but since I don’t like short statements in general, and I despise short statements on authors like W.F. Hermans I had prepared a text, which was translated into French.
My French teacher in New York, Michel, helped me clean up the translation, and provided me with some helpful insights regarding the pronunciation of certain words. Nevertheless: afterwards a few people claimed not to have understood my short speech. This might be because they were not French, a lot of people in the audience spoke Dutch and were born in the Netherlands, but it's also possible that I just read the text too fast.
For those of you who could not make it to the Salon du Livre, the text. (In French):

On m'a demandé de faire un bref commentaire sur l'oeuvre de Willem Frederik Hermans. Je préfère ne pas répondre directement à cette offre.
Tout d'abord, parce que je ne veux pas prétendre être un spécialiste de l’œuvre de monsieur Hermans. Pour cela il faudrait l’avoir lu au moins deux fois en entier. Or, je n'ai pas lu son œuvre en entier, pas même une seule fois.
Ensuite, parce qu'il serait absurde, pour ne pas dire désobligeant de vouloir résumer une oeuvre de cette ampleur, ou pire de vouloir lui rendre hommage par un bref commentaire.
Les commentaires à l’emporte pièce sur les sujets les plus divers pullulent sur le net, à la radio, à la télévision, dans les journaux et les revues. Je souhaite justement que l'art du roman se libère des commentaires hâtifs.
Je n’ai pas l’intention d'accaparer la parole, tout au contraire; je voudrais encore moins suggérer qu'un long discours vaille mieux par définition qu'un petit discours, je me contenterai donc de quelques mots sur ce qui nous vaut cette rencontre, à savoir le roman La chambre noire de Damoclès, paru récemment en français.
Je suppose que la majorité des personnes présente ont lu ce roman et que les autres en ont lu le résumé.
La question dans La chambre noire de Damoclès n'est pas de savoir si Dorbeck existe vraiment et, si c’est le cas, pourquoi il a disparu, la question est de savoir pourquoi Henri Osewoudt, marchand de cigares à Voorschoten, se sent obligé de répondre favorablement à la demande d’aide du personnage pour le moins douteux qu’est Dorbeck.
Nous sommes en temps de guerre, c’est un fait. Les Pays-Bas sont occupés et, dans ce genre de situation, la zone d'ombre entre ceux qui sont fiables et ceux qui ne le sont pas est floue. Mais tout de même ! Osewoudt est dénué de tout élan idéologique et patriotique. On ne pourra non plus l’accuser de vouloir jouer les héros. Il prend des cours de judo, mais tous ceux qui pratiquent le judo n'ont pas automatiquement envie de devenir des héros.
Osewoudt est un homme qui, à dix-neuf ans, avait déjà l'impression que comme l'écrit Hermans, « tout ce qui devait être fait, avait déjà été fait. » On pourrait s'attendre à ce qu'un tel personnage reste à jamais marchand de cigares et que s’il lui arrive de vivre des aventures, celles-ci n’existent qu’aux confins de son imagination.
La guerre offre à Osewoudt l’occasion d'échapper à son sort, à lui-même, aux préjugés qui lui collent à la peau. Qui est Osewoudt ? Un homme imberbe doté d’une voix de castrat. Un homme aux cheveux filasse. Un homme peu séduisant qui a épousé sa cousine, encore moins séduisante que lui, aussi surprenant que cela puisse paraître. Parce qu'il ne pouvait pas espérer mieux.
C'est précisément l'ennemi, Obersturmführer Ebernuss, qui devine ça, qui voit peut-être en Osewoudt son alter ego. Ebernuss déclare à Osewoudt que chacun d’eux est solitaire dans ce monde, que lorsque la guerre sera finie, il n'y aura plus de place pour aucun d’entre eux.
La disparition des règles, de la hiérarchie et de l'ordre social, c’est cela qui rend la guerre attrayante. Hermans l’a compris.
Son confrère Jan Wolkers a comparé la Seconde Guerre mondiale à un vent frais qui soufflait sur les Pays-Bas. Une provocation évidemment mais qui a aussi un rapport évident avec la notion de guerre.
Henri Osewoudt est un Don Quichotte du XXe siècle, sans attaches historique avec le roman chevaleresque et par conséquent sans la morale sentimentale qui l’accompagne, sans les rituels quelque peu grotesques de la noblesse, et donc sans repères. Osewoudt est un Don Quichotte marchand de cigares sans éducation, sans grande curiosité intellectuelle.
Il photographie des installations allemandes dont l'intérêt pour les alliés est a priori incertain, sa créativité s’arrête là. Il tue des gens, mais plutôt par hasard, sans conviction, sans sadisme, mais sans aucune hésitation non plus.
Si Don Quichotte devait se guérir des livres qu'il a lus, Osewoudt doit se guérir de lui-même.
Le dialogue le plus énigmatique se situe à la fin du roman, entre Osewoudt et le père Beer. Osewoudt déclare, je cite : « … Car ils ne me gardent pas prisonnier parce que Dorbeck est introuvable, mais parce que j'ai une voix aiguë de castrat, un visage de fille et que je suis imberbe. Toute ma vie, j'ai été prisonnier de mon apparence, mon apparence a fait de moi ce que je suis. C'est là la solution de l'énigme. » Dorbeck n’est qu’un prétexte, au mieux il sert de catalyseur. Il s'agit en fait de la découverte douloureuse que Osewoudt ne correspond pas à ce qu'il pense être. Ou plutôt à ce que les autres pensent qui il est.
Dans le cas de Don Quichotte, il était facile de dire qui avait raison entre le monde extérieur et Don Quichotte.
Pour Osewoudt ce n'est plus possible.
Ce qui est certain, c'est que la réponse à l'énigme réside dans son apparence, le reste doit être un malentendu.