Arnon Grunberg
Tribune Juive,
2007-09-01
2007-09-01, Tribune Juive

Si j'étais le Messie


Kerenn Elkaïm

Un petit-fils de SS décide qu’il sera le « consolateur » du peuple juif et se convertit au judaïsme. Il deviendra Premier ministre d’Israël... À 36 ans, Arnon Grundberg est considéré comme l’auteur hollandais le plus doué de sa génération. Le Messie juif, son dernier livre, ne ménage pas les lecteurs.

Trublion de la littérature néerlandaise, Arnon Grundberg est né à Amsterdam en 1971. Il s’impose d’emblée pour son ton singulier et son envie de gratter le vernis social. Ses romans sarcastiques ne caressent pas le lecteur dans le sens du poil. Une audace qui lui vaut les plus grands prix littéraires dans son pays natal. Si les amateurs du second degré sont servis, le style corrosif et burlesque peut choquer les âmes sensibles ! Ce New-Yorkais d’adoption aime jongler avec la complexité des émotions. « Mes livres ont l’ambition d’ébranler les certitudes. Un romancier cherche à reproduire ce qu’il considère comme étant sa vérité sur lui-même, l’homme et le monde. » Le questionnement sur l’identité est omniprésent car « elle est à la fois définie par soi-même et par l’extérieur. J’aime sonder cette tension ». Une tension qu’il connaît bien, lui qui a été élevé dans une maison religieuse. « Enfant, j’avais déjà du mal à croire en Dieu. Lorsque ça s’est imposé comme une évidence, je me suis senti libéré, mais c’était difficile de faire de la peine à mes parents. » Hanté par leur histoire, Arnon Grunberg a été marqué par le sort de ces survivants juifs allemands. « Leur histoire n’était pas la mienne. La colère que je ressens vis-à-vis de leur vie étriquée et de moi-même me sert de moteur pour écrire. » Ici, le fils de survivant se met dans la peau de Xavier Rodeck, petit-fils de SS. « Sa situation est compliquée : comment aimer les siens tout en rejetant leurs actes ? » Grundberg est frappé par la culpabilité des Allemands des deuxième et troisième générations. « Certains vont même jusqu’à se convertir au judaïsme. Idéaliser les Juifs n’est pas sans danger parce que ce serait oublier que nous ne sommes que des êtres humains. » C’est le cas de l’adolescent agnostique qu’il décrit. « L’identité est mouvante, on peut devenir quelqu’un d’autre. Il y a toujours le risque de basculer dans l’extrême. » Persuadé d’être le Messie, le héros aspire à apaiser les maux du Peuple élu. Sur les conseils de son ami Awromele, le fils du rabbin, il découvre le yiddish et le passage obligé de la circoncision. Pour le plus grand malheur de Xavier, elle est réalisée par un vieux fromager, à moitié aveugle. Comble de l’horreur, il ne lui laisse qu’un testicule ! « Tout comme l’entrée en religion, la connaissance de soi se fait toujours dans la souffrance », affirme l’auteur. Paradoxalement, c’est précisément l’ablation de cet attribut masculin qui le transforme en homme. Rebaptisé « Roi David », le testicule manquant trône fièrement dans du formol. Cette particularité, exhibée au monde entier, conforte le héros dans son idée d’un destin hors du commun. « Roi David symbolise le pouvoir vers lequel Xavier tend, mais c’est cela qui va le perdre et le détruire. »

Un espoir qui n’est pas de ce monde

Il n’est pas le seul à connaître un déchirement. La découverte de son homosexualité projette Awromele dans un monde infernal. Exclu du cercle familial, il scelle un pacte impossible avec son amant, Xavier : ne jamais tomber amoureux. Inséparables, les deux compères « préfèrent la sécurité du malheur à la fugacité du bonheur ». Tous les personnages du roman sont en quête de consolation. Élu Premier ministre d’Israël, Xavier pense avoir atteint l’apothéose pour un « consolateur », mais son idéalisme et ses méthodes laissent à désirer... « Israéliens et Palestiniens sont victimes d’intérêts stratégiques qui font tout pour entraver la paix. Je crains que ce siècle soit aussi sanglant que le précédent. Les Juifs se sentiraient vulnérables et orphelins sans ce pays », clame Grundberg. « Notre attente symbolique du Messie incarne un espoir qui n’est pas de ce monde. Si c’était moi, je demanderais à Dieu de refaçonner un humain qui ne connaîtrait ni le mal ni la haine. »